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LE PROGRAMME JACOBIN


civilisation a végété et végète. Considérez la profondeur et l’étendue du champ historique où elles plongent, et vous jugerez si elles sont fortes. Considérez la hauteur et la croissance indéfinie de l’arbre qu’elles nourrissent, et vous jugerez si elles sont saines. Partout ailleurs, l’une ou l’autre ayant manqué, en Chine, dans l’Empire Romain, dans l’Islam, la sève s’est arrêtée, l’arbre s’est rabougri ou est tombé. Par elles, le nôtre vit et grandit toujours ; elles fournissent la substance à ses plus nobles rameaux, à ses meilleurs fruits ; le bourgeon humain est plus ou moins beau, selon que leur suc lui arrive plus ou moins pur, et ce sont elles que veut trancher la hache jacobine. C’est à l’homme moderne qui n’est ni un Chinois, ni un ancien, ni un musulman, ni un barbare, ni un sauvage, à l’homme formé par l’éducation chrétienne et réfugié dans sa conscience comme en un sanctuaire, à l’homme formé par l’éducation féodale et retranché dans son honneur comme dans un château fort, que le nouveau contrat social commande de livrer son sanctuaire et son château fort.

Et, dans cette démocratie fondée sur la prépondérance du nombre, à qui exige-t-on que je les livre ? — En théorie, à la communauté, c’est-à-dire à une foule où l’impulsion anonyme se substitue au jugement individuel, où l’action devient impersonnelle parce qu’elle est collective, où nul ne se sent responsable, où je roule emporté comme un grain de sable dans un tourbillon de poussière, où tous les attentats sont justifiés d’avance par la raison d’État ; en pratique, à la pluralité des