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Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 7, 1904.pdf/168

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LA RÉVOLUTION


voix comptées par tête, à une majorité qui, surexcitée par la lutte, abusera de sa victoire pour violenter la minorité dont je puis être, à une majorité provisoire qui, tôt ou tard, sera remplacée par une autre, en sorte que, si j’opprime aujourd’hui, je suis sûr d’être opprimé demain ; plus précisément encore, à six ou sept cents députés parmi lesquels il n’en est qu’un que je sois appelé à choisir. Pour élire ce mandataire unique, je n’ai qu’un vote entre dix mille, et je ne contribue à le nommer que pour un dix-millième ; je ne contribue pas même pour un dix-millième à nommer les autres. — Et ce sont ces six ou sept cents étrangers que je charge de vouloir à ma place, avec mes pleins pouvoirs ; avec mes pleins pouvoirs, notez ce mot, avec des pouvoirs illimités, non seulement sur mes biens et ma vie, mais encore sur mon for intime ; avec tous mes pouvoirs réunis, c’est-à-dire avec des pouvoirs bien plus étendus que ceux que je remets séparés aux dix personnes en qui j’ai le plus de confiance, à l’homme de loi qui gère ma fortune, au précepteur qui élève mes enfants, au médecin qui gouverne ma santé, au confesseur qui dirige ma conscience, aux amis qui exécuteront mon testament, aux témoins qui, dans un duel, deviennent les arbitres de ma vie, les économes de mon sang et les gardiens de mon honneur. Sans parler de la déplorable comédie qui tant de fois se joue autour du scrutin, ni des élections contraintes et faussées qui traduisent à rebours le sentiment public, ni du mensonge officiel par lequel juste en ce moment une poignée de fanatiques et de furieux, qui ne représentent qu’eux-