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LES GOUVERNANTS


lorsque, dans les bas-fonds du centre, ils « coassaient » contre la Montagne ; maintenant ils sont encore quatre cent cinquante trois fois plus nombreux que les Montagnards ; mais, de parti pris, ils se taisent ; leur ancien nom « les rend, pour ainsi dire, moites ; leurs oreilles retentissent de menaces éternelles, leurs cœurs sont maigris de terreur[1] », et leurs langues, paralysées par l’habitude du silence, restent collées à leurs palais. Ils ont beau s’effacer, consentir à tout, ne demander pour eux que la vie sauve, livrer le reste, leur vote, leur volonté, leur conscience : ils sentent que cette vie ne tient qu’à un fil. Le plus muet d’entre eux, Siéyès, dénoncé aux Jacobins, échappe tout juste, et par la protection de son cordonnier qui se lève et dit : « Ce Siéyès, je le connais, il ne s’occupe pas du tout de politique, il est toujours dans ses livres ; c’est moi qui le chausse et j’en réponds[2] ».

Bien entendu, avant le 9 thermidor, aucun d’eux n’ouvrira la bouche ; seuls les Montagnards parlent, et toujours d’après la consigne. Si Legendre, l’admirateur, le disciple, le confident intime de Danton, ose une fois intervenir à propos du décret qui envoie son ami à l’échafaud, et demander qu’au préalable Danton soit entendu, c’est pour se rétracter séance tenante ; le soir même, pour plus de sûreté, « il roule dans la boue[3] », déclare aux Jacobins « qu’il s’en rapporte au jugement du Tri-

  1. Dusaulx (Fragment pour servir à l’histoire de la Convention).
  2. Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, V, 216 (d’après les papiers inédits de Siéyès).
  3. Paroles de M. Michelet.