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LES GOUVERNANTS


grader la Révolution[1]. » On est tenu de ménager des serviteurs utiles et dont la besogne est rude, pareille à celle des travailleurs de septembre ; comme aux travailleurs de septembre, il faut leur pardonner des irrégularités, leur accorder des revenants-bons, et leur permettre quelques douceurs[2].

Cela ne suffirait pas pour les maintenir à l’œuvre, s’ils n’étaient retenus par un attrait plus fort. — Pour des hommes civilisés de l’espèce ordinaire, l’office de septembriseur est d’abord pénible ; mais, après un peu de pratique, surtout quand l’âme est tyrannique et que, sous le couvert de la théorie ou sous le prétexte du salut public, elle peut assouvir ses instincts autoritaires, ses répugnances tombent. Il y a dans l’exercice du pouvoir absolu une jouissance extraordinaire : à toute heure, on est bien aise de se prouver, par des actes, qu’on est omnipotent, et le plus probant de ces actes est celui qui consiste à détruire. Plus la destruction est complète, radicale et prompte, plus on a le sentiment de sa force ; quel que soit l’obstacle, on ne veut ni reculer, ni s’arrêter ; on rompt toutes ces barrières que les hommes appellent bon sens, humanité, justice, et l’on a du plaisir à les rompre. Écraser et dompter devient une volupté intense, savourée par l’orgueil intime, une

  1. Buchez et Roux, XXXII, 391, et XXXIII, 9 (Extraits des Mémoires de Senar).
  2. Carnot, Mémoires, I, 416. — Carnot ayant présenté au Comité de Salut public la preuve des dilapidations commises à l’armée du Nord, Saint-Just s’emporta et dit : « Il n’y a qu’un ennemi de la République qui puisse accuser ses collègues de dilapidations, comme si tout n’appartenait pas de droit aux patriotes ! »