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LA RÉVOLUTION


autres groupes de la bourgeoisie, les mêmes habitudes sédentaires, la même sécurité, la même frugalité, les mêmes institutions et les mêmes mœurs[1] nourrissaient des sentiments à peu près semblables, et la culture de l’esprit n’y était pas médiocre. Comme on avait du loisir, on lisait ; comme on n’était pas assailli par les journaux, on lisait des livres dignes d’être lus : dans de vieilles bibliothèques de province, chez les descendants d’un fabricant ou d’un procureur de petite ville, j’ai trouvé des éditions complètes de Voltaire, Rousseau, Montesquieu, Buffon, Condillac ; des marques, laissées dans chaque volume, prouvent qu’avant la fin du dix-huitième siècle le volume avait été lu par quelqu’un de la maison. — Nulle part ailleurs ce qu’il y avait de raisonnable et de libéral dans la philosophie du dix-huitième siècle n’avait trouvé tant d’accueil ; c’est dans cette classe que s’étaient recrutés les patriotes de 1789 ; elle avait fourni, non seulement la majorité de l’Assemblée Constituante,

  1. Albert Babeau, la Ville, ch. ii, et Histoire de Troyes, I, ch. I. — À Troyes, cinquante marchands notables élisent le juge consul et deux consuls ; la communauté des marchands a sa halle et ses assemblées. — À Paris, les drapiers, merciers, épiciers, pelletiers, bonnetiers, orfèvres, forment les six corps de marchands. La corporation des marchands est partout placée au-dessus des autres communautés industrielles, et possède des privilèges particuliers. Les marchands, dit Loyseau, ont « qualité d’honneur étant qualifiés honorables hommes, honnêtes personnes, et bourgeois des villes, qualités qui ne sont attribuées ni aux laboureurs, ni aux sergents, ni aux artisans et moins encore aux gens de bras ». — Sur l’autorité paternelle et la discipline domestique dans ces vieilles familles bourgeoises, voir l’histoire de Beaumarchais et de son père (Beaumarchais, par M. de Loménie, tome Ier).