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LES GOUVERNÉS


l’attribuer tout entier à l’État, soit de le supprimer, avec les arts et les fabriques qui l’alimentent, pour ne laisser en France qu’une population d’agriculteurs et de soldats.

Second avantage et second délit des notables, la supériorité d’éducation. « Dans toutes les sociétés honnêtes, écrit un voyageur hollandais en 1795[1], on peut être sûr que la moitié des personnes présentes a été emprisonnée » ; aux présents ajoutez les absents, je veux dire les guillotinés, les bannis, les émigrés, les déportés, et notez que, dans l’autre moitié favorisée, ceux qui n’ont pas goûté de la prison en ont eu l’avant-goût. Chacun d’eux s’attendait, chaque jour, à recevoir son mandat d’arrêt ; « ce qu’il y avait de pis sous Robespierre, m’ont dit des vieillards, c’est que, le matin, on n’était jamais certain de coucher le soir dans son lit ». Pas un homme bien élevé qui ne vécût sous cette crainte. Feuilletez la liste des suspects, des détenus, des exilés et des suppliciés dans une ville, un district, un département[2] ; on voit tout de suite, par les

    les papiers de Saint-Just, dans la correspondance des Terroristes de Lyon : selon ceux-ci, la France nouvelle n’a pas besoin d’ouvriers en soie. C’est toujours chez les Babouvistes qu’on découvre les formules définitives du système : « Périssent, s’il le faut, tous les arts, pourvu qu’il nous reste l’égalité réelle ! » (Sylvain Maréchal, Manifeste des Égaux.)

  1. Revue historique, numéro de novembre 1878 (Lettre de M. Falk, Paris, 29 octobre 1795).
  2. Études sur l’histoire de Grenoble pendant la Terreur, par Paul Thibault. (Listes des suspects notoires et des suspects simples pour chaque district de l’Isère, avril et mai 1793.) — Cf. les diverses listes pour le Doubs dans Sauzay, et pour Troyes dans Albert Babeau.