Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 8, 1904.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
393
LA FIN DU GOUVERNEMENT RÉVOLUTIONNAIRE


même lorsqu’il a constamment et ponctuellement obéi à toutes les lois révolutionnaires, même lorsqu’il n’est parent ou allié d’aucun émigré, se trouve déchu de sa qualité de Français ; par cela seul qu’avant 1789 il était anobli ou noble, il est tenu de se faire naturaliser dans les formes et sous les conditions légales. — Quant aux 150 000 gentilshommes, bourgeois, artisans et laboureurs qui ont émigré ou qui sont prévenus d’émigration, s’ils sont rentrés ou restés en France, ils sortiront, dans les vingt-quatre heures, de Paris et des communes au-dessus de vingt mille âmes, et, dans les quinze jours, ils sortiront de France ; sinon, tous arrêtés, traduits devant les commissions militaires, et fusillés séance tenante[1] : de fait, dans beaucoup d’endroits, à Paris, à Besançon, à Lyon, on en fusille. — Là-dessus, quantité de prétendus émigrés qui n’ont jamais quitté la France[2], ni même leur province, ni même leur commune, et dont on n’a mis le nom sur la liste que pour les dépouiller de leurs biens, ne se trouvent plus protégés par la continuité, ni par la notoriété de leur résidence. Sitôt qu’ils ont lu la nouvelle loi, ils voient d’avance le peloton d’exécution ; le sol natal leur brûle les pieds, et ils

  1. Décret du 19 fructidor an V.
  2. Lally-Tollendal, Défense des émigrés (Paris, 1797), 2e partie, 49, 62, 74. — Rapport de Portalis au Conseil des Cinq-Cents, 18 février 1796 : « Jetez les yeux sur cette classe innombrable de malheureux qui ne sont jamais sortis du sol de la République. » Discours de Dubreuil, 26 août 1796 : « Dans le département de l’Aveyron, la liste supplémentaire porte 1004 ou 1005 noms. Et cependant, sur cette énorme liste de proscriptions, je vous atteste qu’on ne peut pas trouver plus de six noms justement inscrits comme de véritables émigrés. »