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LE RÉGIME MODERNE


tions locales, de tyrannies éphémères, de séditions urbaines, de jacqueries rurales, de brigandages, de famines, d’invasions sur toute la frontière, avec une telle ruine de l’agriculture et des autres arts utiles, avec un tel amoindrissement du capital public et privé, avec une telle destruction des vies humaines, qu’en vingt ans le chiffre de la population semble avoir baissé de moitié[1]. — C’est enfin, comme après 1799 en France, le rétablissement de l’ordre, opéré plus lentement, mais par les mêmes moyens, par l’armée et par la dictature, sous la rude main de trois ou quatre grands parvenus militaires, Pannoniens ou Dalmates, Bonapartes de Sirmium ou de Scutari, eux aussi de race neuve et d’énergie intacte, officiers de fortune et fils de leurs œuvres, le dernier, Dioclétien, à la fois restaurateur et novateur comme Napoléon ; autour d’eux, comme autour de Napoléon, pour les aider dans leur œuvre civile, un personnel d’administrateurs experts et de jurisconsultes éminents, tous praticiens, hommes d’État, hommes d’affaires, et néanmoins lettrés, logiciens, philosophes, imbus de la double idée gouvernementale et humanitaire que la spéculation grecque et la pratique romaine introduisent dans les esprits et dans les imaginations depuis trois siècles, à la fois égalitaires et autoritaires, enclins à exagérer les attributions de l’État et la toute-puissance du prince[2], non moins enclins à substituer le

  1. Gibbon, chap. X. — Duruy, chap. XCV. (Diminution de la population d’Alexandrie sous Gallien, d’après les registres de l’institution alimentaire, lettre de l’évêque Dionysios.)
  2. Digeste, I, 4. I : « Quod principi placuit legis habet vigorem,