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NAPOLÉON BONAPARTE


la plus rare de toutes ; car, si sa prévision s’accomplit, c’est que, comme les célèbres joueurs d’échecs, il a évalué juste, outre le jeu mécanique des pièces, le caractère et le talent de l’adversaire, « sondé son tirant d’eau », deviné ses fautes probables ; au calcul des quantités et des probabilités physiques, il a joint le calcul des quantités et des probabilités morales, et il s’est montré grand psychologue autant que stratégiste accompli. — Effectivement, nul ne l’a surpassé dans l’art de démêler les états et les mouvements d’une âme

    même que nous fussions sur les lieux… » Le 17 mars 1800, piquant des épingles sur une carte, il montre à Bourrienne l’endroit où il compte battre Mélas ; c’est à San-Juliano. « Quatre mois après, je me trouvai à San-Juliano avec son portefeuille et ses dépêches, et, le soir même, à Torre di Gafolo, qui est à une lieue de là, j’écrivis sous sa dictée le bulletin de la bataille » (de Marengo). — Comte de Ségur, I, 20 (Récit de M. Daru à M. de Ségur : le 13 août 1805, au quartier général des côtes de la Manche, Napoléon dicte à M. Daru le plan complet de la campagne contre l’Autriche) : « Ordre des marches, leur durée, lieux de convergence ou de réunion des colonnes, attaques de vive force, mouvements divers et fautes de l’ennemi, tout, dans cette dictée si subite, était prévu à deux mois et deux cents lieues de distance… Les champs de bataille, les victoires et jusqu’aux jours mêmes où nous devions entrer dans Munich et dans Vienne, tout alors fut annoncé, fut écrit comme il arriva… Daru vit ces oracles se réaliser à jours fixes jusqu’à notre entrée à Munich ; s’il y eut quelques différences de temps et non de résultats entre Munich et Vienne, elles furent à notre avantage. » — M. de Lavallette, Mémoires, II, 35 (Il était directeur général des Postes) : « Il m’est arrivé souvent de ne pas être aussi sûr que lui des distances et d’une foule de détails de mon administration, qu’il savait assez pour me redresser. » — Revenant du camp de Boulogne, Napoléon rencontre un peloton de soldats égarés, leur demande le numéro de leur régiment, calcule le jour de leur départ, la route qu’ils ont prise, le chemin qu’ils ont dû faire et leur dit : « Vous trouverez votre bataillon à telle étape ». — Or « l’armée était alors de 200 000 hommes ».