Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le principe, les positivistes n’auraient plus besoin de mutiler la science, comme les spiritualistes n’auraient plus le droit de doubler l’univers.

C’est ce qu'on a tenté de faire ici, et on a osé le tenter ; car toute la difficulté consistait à se préserver d’une illusion d'optique qui nous fait prendre les causes pour des êtres, qui transforme des métaphores en substances, et qui donne à des fantômes la consistance et la solidité. Pour s’en délivrer il fallait assister à leur naissance. Il fallait voir naître l’idée de cause, et à cet effet, choisir cinq ou six des cas qui la font naître, les choisir palpables et vulgaires, tout explorés et circonscrits, noter en chacun d’eux la circonstance qui la suscite, limiter et définir cette circonstance, avancer pas à pas dans les sentiers étroits des psychologues et des grammairiens. Alors seulement on sait exactement ce qu’est une cause. Ces petites analyses en philosophie ont le même effet que les mesures précises en astronomie. En mesurant des dixièmes de seconde, on calcule la distance des étoiles à la terre. En précisant l’idée de cause, on peut renouveler son idée de l'Univers.

Par ces décompositions minutieuses, on a montré que la cause d'un fait est la loi ou la qualité dominante d’où il se déduit ; qu’une force active est la nécessité logique qui lie le fait dérivé à la loi primitive, que la force de pesanteur est la nécessité logique qui lie la chute d’une pierre à la loi universelle de la gravitation. On en a conclu contre les spiritualistes qu’il n’y a pas besoin d’inventer un nouveau monde pour expliquer celui-ci, que la cause des faits est dans les faits eux-mêmes, qu’il n’y a point un peuple d'êtres