Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/241

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de sa morale. Beaucoup de gens qui ont réfuté l’Èthique auraient bien fait de l’imiter. Quant aux excursions allemandes, aux importations de Schelling, à la fabrication de l’absolu, de l’ontologie et de la raison impersonnelle, il ne s’y fiait guère. Appuyé sur ses chers Écossais, surtout sur lui-même, il essayait de fonder la science, et laissait son rival installé sur le trône amasser des nuages et emprunter des rayons.

Il s’est trompé pourtant, et plus d’une fois. Quelque effort que fasse un homme, il ne peut parcourir qu’un certain espace ; si les circonstances l’ont déposé à l’entrée de la carrière, il n’atteint que la première borne ; pour qu’il touche le terme, il faut que d’elles-mêmes elles l’aient porté jusqu’au milieu. M. Jouffroy à vingt ans était encore chrétien ; il dépensa toute sa force à établir le système qu’on construit en sortant du christianisme, celui du Vicaire savoyard. Sur vingt hommes qui pensent, il y en a dix-neuf qui, en quittant leur religion d’enfance, tombent dans cette philosophie ; elle n’est qu’un christianisme tempéré et amoindri ; c’est pourquoi elle devait être la philosophie de M. Jouffroy. Il avait beau retenir son cœur, il y était mené de force ; s’il empruntait à sa méthode et à ses preuves des raisons de croire, sa croyance venait de ses souvenirs et de ses aspirations. Aujourd’hui, cette source est visible ; on