Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/242

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la découvre[1] dans le choix et dans l’énoncé des questions par lesquelles il débutait et qu’il embrassait de toute son âme : à la manière dont elles sont posées, on s’aperçoit qu’elles sont résolues d’avance. Involontairement il faisait comme Descartes : il s’attachait aux pieds, comme des entraves, la méthode et les règles philosophiques ; mais il tenait ses yeux fixés sur un but unique, et n’allait que là. En vérité, nous sommes encore au moyen âge ; nous imitons saint Anselme, avec un peu moins de timidité et un peu plus d’indépendance ; nous ne cherchons comme lui qu’à prouver un dogme préconçu. Les Méditations, le Vicaire savoyard, et les Théodicées modernes, ne font que traduire pour un autre siècle et dans un autre style le Monologium et le Proslogium du vieil archevêque. La philosophie est toujours la fille de la religion, fille indisciplinée, qui parfois bat sa mère, mais qui finit par la servir.

Déjà arrêté par les circonstances, il était encore gêné par un défaut. Son esprit, quoique profond, perçant et sensé, n’était point complet. Il ignorait l’analyse. Comme M. de Biran, comme M. Cousin, comme tous les philosophes du siècle, il se tenait continuellement guindé dans le style abstrait et vague. Il n’aimait pas les exemples par-

  1. Nouveam mélanges, p. 144.