Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/26

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jeune ami n’est qu’une machine de guerre. Il s’est dit peut-être que le raisonnement n’a pas de prise sur le public. Attaquez une psychologie par une psychologie ; vous convaincrez quatre ou cinq esprits solitaires, mais la foule vous échappera. Au contraire, proclamez bien haut que si l’on continue à croire vos adversaires, Dieu, la vérité, la morale publique sont en danger ; aussitôt l’auditoire dressera les oreilles ; les propriétaires s’inquiéteront pour leur bien, et les fonctionnaires pour leur place ; on regardera les philosophes dénoncés avec défiance ; par provision on ôtera leur livre des mains des enfants ; le père de famille ne laissera plus manier à son fils un poison probable. Cette probabilité, d’elle-même, deviendra certitude, et les pauvres gens, tout honteux de leur réputation nouvelle, baisseront le dos, laisseront passer l’orage et se tiendront cois, silencieux dans leur cachette, espérant que, dans cinquante ans peut-être, la doctrine des esprits les plus lucides, les plus méthodiques et les plus français qui aient honoré la France, cessera de passer pour une philosophie de niais ou d’hommes suspects. »

Voilà le raisonnement que se fit mon vieux sensualiste. C’était un signe du temps : au lieu de le réfuter, on l’égorgeait ; il avait beau crier, la chose était faite. À mon sens, elle était mal faite ; ce n’est pas ainsi qu’on se débarrasse des gens ; il y faut