Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/282

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misérables bonheurs qui aboutissent invariablement au dégoût. » Il se demande si la vie est bonne à quelque chose, et ce qu’il est venu faire dans le petit coin où il est perdu.

Il ouvre l’histoire, et la nouvelle immensité qu’il découvre l’accable encore sous le poids de la même question. Cette humanité dont il est un fragment ignore sa racine. Jetée sur ce globe, quand, où, comment, elle n’en sait rien. Les races ont remplacé les races ; les empires ont détruit les empires ; les civilisations se sont levées et sont tombées comme les moissons d’une plaine. Nous voici à notre tour ; et notre jour fatal viendra bientôt peut-être. Quelle est cette destinée, et quelle mystérieuse puissance promène ainsi les nations et les hommes dans le cercle infranchissable de la vie et de la mort ? La géologie vient agrandir l’histoire, et la même question renaît agrandie. La terre fouillée a révélé des créations englouties ; sa surface est l’ossuaire de cinq ou six mondes, et les étages de ses couches ne sont que des lits entassés de cercueils. « On s’est convaincu qu’il fut un temps où la nature n’avait su produire à sa surface que des végétaux, végétaux immenses auprès desquels les nôtres ne sont que des pygmées, et qui ne couvraient de leur ombre aucun être animé. Vous savez qu’on a constaté qu’une grande révolution vint détruire cette création, comme si