Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/283

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elle n’eût pas été digne de la main qui l’avait formée. Vous savez qu’à la seconde création, parmi les grandes herbes et sous le dôme de ces forêts gigantesques, on vit se dérouler de monstrueux reptiles, premiers essais d’organisation animale, premiers propriétaires de cette terre, dont ils étaient les seuls habitants. La nature brisa cette création, et dans la suivante elle jeta sur la terre des quadrupèdes dont les espèces n’existent plus, animaux informes, grossièrement organisés, qui ne pouvaient vivre et se reproduire qu’avec peine, et ne semblaient que la première ébauche d’un ouvrier malhabile[1]. La nature brisa encore cette création, comme elle avait fait des autres, et d’essai en essai, allant du plus imparfait au plus parfait, elle arriva à cette dernière création qui mit pour la première fois l’homme sur la terre… Pourquoi le jour ne viendrait-il pas aussi où notre race sera effacée et où nos ossements déterrés ne sembleront aux espèces vivantes que des ébauches grossières d’une nature qui s’efface ? Et si nous ne sommes ainsi qu’un anneau dans cette chaîne de créations de moins en moins imparfaites, qu’une méchante épreuve d’un type inconnu, tirée à son tour pour être déchirée à son tour, que sommes-nous donc et où sont nos titres pour nous livrer à l’espérance et à l’orgueil ? »

  1. Il y a des erreurs de fait dans ce morceau.