Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/285

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après l’avoir porté dans la morale, lui impose par contre-coup sa morale. Les habitudes de l’homme intérieur, ayant formé le philosophe, formèrent sa philosophie ; son système du monde fut produit par l’état de son âme ; sans le savoir ni le vouloir, il construisit les choses d’après un besoin personnel, Ce genre d’illusion est presque inévitable ; nous ressemblons à ces insectes qui, selon la diversité de la nourriture, filent des cocons de diverses couleurs.

Il avait un besoin passionné de connaître la destinée de l’homme ; il établit comme axiome que tout être a une destinée, et de là dérive le reste.

« Tout être a une fin ; pareil au principe de causalité, ce principe en a toute l’évidence, toute la nécessité, toute l’universalité. » Il est certain par lui-même, irréductible, et n’a pas besoin d’être déduit d’une vérité plus haute. Il n’est pas l’œuvre de l’expérience et de la généralisation ; il est une découverte de la raison intuitive. Il n’est pas la dépendance et le produit de l’observation ; il est le guide et le gouverneur de l’observation.

« Dès que nous avons conçu que tout être a une fin, nous recueillons de l’expérience cette seconde vérité, que cette fin varie de l’un à l’autre, et que chacun a la sienne qui lui est spéciale[1]. » Ces deux

  1. Cours de droit naturel, 29e leçon, p. 118.