Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/38

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d’Allemagne ont précipité toutes les sciences particulières dans des voies nouvelles et leur ont ouvert des horizons inconnus. Nos Français du siècle dernier ont eu la même puissance, et méritent le même respect. Marquons donc en deux mots la portée, les limites et les règles de leur méthode. Ils ne nous enseignent point à observer, à expérimenter, à induire ; ils ne font pas collection de faits, ils n’interprètent point la nature ; ils laissent Bacon gouverner les sciences expérimentales : c’est ailleurs qu’ils portent leurs efforts. Ils supposent l’esprit de l’homme plein et comblé d’idées de toutes sortes, entrées par cent sortes de voies, obscures, confuses, perverties par les mots, telles que nous les avons lorsque nous commençons à réfléchir sur nous-mêmes, après avoir pensé longtemps et au hasard. Ils débrouillent ce chaos, et d’un monceau de matériaux entassés, ils forment un édifice. Ils s’en tiennent là, et ne prétendent point aller plus loin. On les nomme idéologues, et avec justice : ils opèrent sur des idées et non sur des faits ; ils sont moins psychologues que logiciens. Leur science aboutit dès l’abord à la pratique ; et ce qu’ils enseignent, c’est l’art de penser, de raisonner et de s’exprimer.

En quoi consiste cet art ? et par quels moyens remplissent-ils l’esprit d’idées claires ? En renversant les méthodes ordinaires. Au lieu d’axiomes,