Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/39

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en tête des sciences, ils mettent des faits. Au lieu de définir les idées, ils les engendrent. Au lieu de commencer les mathématiques par une définition de la quantité et de la mesure, ils font naître et rendent distinctes par une foule d’exemples les idées de quantité et de mesure. Au lieu d’ouvrir la psychologie par la définition des facultés, ils nous mettent dans les circonstances où la notion des facultés doit se développer dans notre esprit. Ils ont observé le mouvement naturel de la pensée, et le reproduisent ; ils savent que ses premières opérations consistent dans la connaissance de faits particuliers, déterminés, et le plus souvent sensibles, que peu à peu elle se porte involontairement sur certaines parties détachées de ces faits, qu’elle les met à part, qu’aussitôt les signes apparaissent d’eux-mêmes, que les idées abstraites et les jugements généraux naissent avec eux ; ils suivent cet ordre dans les vérités qu’ils nous présentent, et en retrouvant la manière dont l’esprit invente, ils nous apprennent à inventer. Ils nous montrent comment des collections d’idées se rassemblent en une seule idée en se résumant sous un seul signe, comment la langue et la pensée marchent ainsi peu à peu vers des expressions plus abrégées et plus claires, comment la série immense de nos idées n’est qu’un système de transformations analogues à celles de l’algèbre, dans lequel quelques éléments très-sim-