Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/43

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en Champagne, dans une famille qui ajoutait à la sévérité des anciennes mœurs provinciales la rigidité du christianisme primitif. Ses parents avaient transporté dans le village la ferveur et les pratiques de Port-Royal ; les laboureurs emportaient le Nouveau-Testament avec eux quand ils allaient travailler aux champs, et les femmes lisaient l’Écriture à la veillée. Sa maison était une Thébaïde, et sa mère une sorte de puritaine catholique. Lui-même, après une éducation toute religieuse, grave, studieux, muni de convictions fortes, éprouvé par la proscription, formé pour gouverner les hommes sans les contraindre, et préparé à la politique par la morale, il entrait dans les affaires publiques, lorsque l’anarchie du Directoire et le despotisme de l’Empire lui fermèrent la carrière pour laquelle il était né et il était prêt. Relégué dans la théorie, il y porta les instincts du moraliste et les préoccupations de l’homme d’État ; tel on devait le revoir à la tribune, tel on le vit dans sa chaire ; dans l’une comme dans l’autre sa pensée dominante fut celle de la règle, et son ton ordinaire fut celui du commandement. Il avait par excellence le caractère impérieux et noble. En fait de science comme en fait de conduite, aucun des dons naturels qui confèrent l’autorité ne lui manquait ; il était né conquérant et dominateur des esprits. Mais la soumission qu’on lui rendait était volontaire et confiante ; on