Page:Taine - Les Philosophes classiques du XIXe siècle en France, 1868.djvu/82

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preinte de leurs facultés ; leur méthode manifeste leur genre d’esprit. Si leur esprit a un défaut, leur système a un défaut. Ils sont comme des miroirs courbes et prêtent leur courbure aux objets ; l’esprit de M. de Biran en avait une. Son style indique à chaque ligne la haine des faits particuliers et précis, l’amour de l’abstraction, l’habitude invincible de considérer uniquement et perpétuellement les qualités générales. On ne résiste pas à une inclination si forte, si continue, si universelle. Il n’y a pas résisté. Ne considérant que les abstractions, il a fini par prendre les abstractions pour des choses. Ne considérant que les facultés et les puissances, il a fini par prendre pour des êtres les facultés et les puissances. Platon, à force d’étudier le même, l’un, la différence, et toutes les qualités générales, avait fini par déclarer que ces qualités sont des substances. M. de Biran, à force d’étudier la volonté, a fini par déclarer qu’elle était l’âme et le moi lui-même, véritable substance indépendante des organes et distincte des opérations.

Cela est incroyable, n’est-ce pas ? La proposition est si énorme, qu’on croit d’abord n’avoir pas compris. On se frappe le front, comme en lisant Platon et les Alexandrins. On aime mieux accuser l’auteur d’obscurité que d’absurdité. On n’ose admettre qu’un grand nom couvre une fausseté éclatante. On ne veut pas qu’une vie entière ait été