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VOYAGE EN ITALIE.

vention, les élans de patriotisme, les trésors de génie, les merveilles de dévouement, le magnifique développement des puissances et des générosités humaines que l’individu atteint lorsqu’il se meut dans un cercle proportionné à ses facultés et approprié à son action. Quoi de plus rare aujourd’hui que de sentir, étant citoyen, qu’on appartient à la patrie ! Il faut qu’elle soit en danger, et cela arrive une fois par siècle[1]. À l’ordinaire, nous ne la voyons pas ; elle n’est pour nous qu’un être abstrait ; nous ne nous intéressons à elle que par un raisonnement de la cervelle. Nous la sentons seulement comme un mécanisme compliqué qui nous gène et nous sert, mais qui en somme dure et ne se détraquera pas Un rouage cassé, un accroc, si grave qu’il soit, fera un peu baisser la renie, voilà tout. Noire vie, celle de nos proches n’en seront pas compromises ; nous trouverons toujours dans la rue des sergents de ville pour nous protéger ; nos affaires n’en souffriront guère, et nos plaisirs n’en souffriront pas, Depuis que la vie privée s’est séparée de la vie publique, l’État, transporté aux mains du gouvernement, ne semble plus la chose de l’individu. Au contraire, à cette époque, ce qui frappe la communauté blesse au vif le particulier ; les affaires nationales sont ses affaires propres Quand les Hongrois arrivent devant Venise, on n’a pas besoin de l’exciter pour qu’il coure à la passe de Malamocco ; il s’agit de sa maison, de ses enfants et de sa femme, et il manœuvre sa barque de lui-même, comme aujourd’hui nous manœuvrons les pompes lorsqu’à deux pas

  1. 1594, sous Henri IV; 1712, sous Louis XIV ; 1792, sous la convention.