Aller au contenu

Page:Taine - Voyage en Italie, t. 2, 1876.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

secousse le gouvernement tombe par terre, et celui-ci court les mêmes risques que ses prédécesseurs. Il vient de faire une sottise grave en livrant les couvents aux haines municipales ; il chasse de pauvres diables de moines, des religieuses, ce qui fait scandale et provoque des ressentiments comme en Vendée. Or la religion n’est pas ici abstraite, rationnelle comme en France ; elle est fondée sur l’imagination, et d’autant plus vive et vivace ; infailliblement elle se retournera un jour contre le libéralisme et le Piémont. D’ailleurs l’unité de ce pays est contre nature ; par sa géographie, ses races, son passé, l’Italie est divisée en trois morceaux, elle peut tout au plus faire une fédération. Si elle se tient ensemble aujourd’hui, c’est par une force artificielle, et parce que la France fait sentinelle sur les Alpes contre l’Autriche. Vienne une guerre sur le Rhin, l’empereur ne s’amusera pas à diviser ses forces, et l’Italie alors se cassera en ses morceaux naturels.

Je réponds qu’ici la révolution n’est pas une affaire de race, mais d’intérêts et d’idées. Elle a commencé à la fin du siècle dernier, avec Beccaria par exemple, par la propagation de la littérature et de la philosophie françaises. C’est la classe moyenne, ce sont les gens éclairés qui la propagent, traînant le peuple après eux, comme jadis aux États-Unis pendant la guerre de l’indépendance. Il y a là une force nouvelle, supérieure aux antipathies provinciales, inconnue il y a cent ans, située non dans les nerfs, le sang et les habitudes, mais dans la cervelle, les lectures et le raisonnement, d’une grandeur énorme, puisqu’elle a fait la révolution d’Amérique et la révolution française, d’une grandeur croissante, puisque les découvertes incessantes de l’esprit