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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/147

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las d’aller tant de fois inutilement à sa porte, s’avisa de dire un jour en parlant d’elle : « Feu madame la marquise de Sablé, » et ajouta qu’il falloit faire tendre sa porte de deuil. Cela fut rapporté à la marquise, car il l’avoit dit en plus d’un lieu : ce discours lui donna de l’horreur. Elle eut peur d’être morte, et en fut long-temps brouillée avec lui. Elle est toujours sur son lit, faite comme quatre œufs, et le lit est propre comme la dame.

Durant le blocus de Paris (en 1649), elle se sauva à Maisons, car le président de Maisons étoit alors son bon ami. La, tout de même qu’à Paris, toujours vautrée sur un lit, elle ne s’en levoit que pour jouer au volant, afin de faire un peu d’exercice. Il fit les plus beaux froids du monde, mais jamais on ne put la faire sortir autrement qu’en chaise ; encore ne se promenoit-elle qu’au soleil et à l’abri, quoiqu’elle eût une chaise qui fermoit comme une boîte. Qu’on ne croie pas que ce soit quelque santé délicate comme celle de madame de Rambouillet ; c’est une grosse dondon qui n’a que le mal qu’elle s’imagine avoir.

En 1663, le jour que la comtesse de Maure mourut, la marquise de Sablé, sa voisine et sa bonne amie, mais non pas au point de l’assister à la mort, car il n’y a personne au monde à qui elle pût rendre ce devoir, envoya Chalais pour en savoir des nouvelles : « Mais, lui dit-elle, gardez-vous bien de me dire qu’elle est passée. » Chalais y va comme elle expiroit. Au retour : « Eh bien ! Chalais, est-elle aussi mal qu’on peut être ? Ne mange-t-elle plus  ? (La marquise est fort friande.) — Non, répondit Chalais. — Ne parle- t-elle plus ? —Encore moins. — N’entend-elle plus  ? — Point du tout. —Elle est donc morte  ? — Madame, répondit Chalais, au moins, c’est vous qu’il l’avez dit, ce n’est pas moi. »

À cause que le sommeil est l’image de la mort, elle ne vouloit pas dormir profondément ; elle se faisoit veiller par un médecin et des filles tour à tour. Ces gens faisoient de