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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/153

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Il dit qu’il auroit inventé la musique de lui-même, si elle n’avoit été inventée. En effet, il a appris à jouer de la mandore et en jouoit admirablement bien, à ce qu’on m’a dit ; mais comme cet instrument n’est plus guère en usage, il l’a laissé là ; auparavant même il falloit bien des cérémonies pour le faire jouer.

Madame de Rambouillet l’appeloit le beau Ténébreux. J’ai dit qu’il étoit cérémonieux. Madame de Rambouillet se repentit bien de l’avoir mené en une promenade, à Lisy, à Monceaux et ailleurs ; car il falloit livrer bataille toutes les fois qu’on se mettoit à table ou qu’on montoit en carrosse.

En effet, il est très incommode sur ce chapitre-là, et croit avoir dit une belle chose quand il a répondu à ceux qui lui disent qu’il est trop cérémonieux : « Ce n’est pas que je le sois trop, mais c’est qu’on l’est trop peu à présent. »

À table, il seroit plutôt tout un jour à frotter sa cuiller que de toucher le premier au potage. Je sais toutes ses façons, car je l’ai mené et le mène encore quand je puis à Charenton. Il ne vouloit point se mettre dans le fond, parce, disoit-il, que les gueux le prendroient pour le maître du carrosse. Il a une chose bonne dans sa cérémonie, c’est qu’il ne se fait jamais attendre ; mais il est si peu comme les autres gens, et il vous embarrasse tellement par la peur de vous embarrasser, qu’il faut avoir de la charité de reste pour s’en charger.

Il est propre jusqu’à marcher proprement ; il veut choisir les paves et aller seul. Madame de Rambouillet dit qu’il n’y a rien de plus plaisant que de voir son embarras quand quelque dame le salue par la ville. Il veut la reconnoître ; il veut faire la révérence de bonne grâce, et en même temps il veut prendre garde à ses pieds ; tout cela ensemble lui fait faire une posture assez plaisante. Il s’est mis dans la tête certaines choses qui ne servent qu’à le tourmenter, comme par exemple il dit qu’il connoît les mœurs et la qualité des personnes à voir leurs portraits, parce, dit-il, que