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Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/215

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LIANCE

Liance est la preciosa de France. Après la belle Egyptienne de Cervantes, je ne pense pas qu’on en ait vu une plus aimable. Elle étoit de Fontenay-le-Comte, en bas Poitou ; c’est une grande personne, qui n’est ni trop grasse ni trop maigre, qui a le visage beau et l’esprit vif ; elle danse admirablement. Si elle ne se barbouilloit point, elle seroit claire- brune. Au reste, quoiqu’elle mène une vie libertine, personne ne lui a jamais touché le bout du doigt. Elle fut à Saint-Maur avec sa troupe, où M. le Prince étoit avec tous ses lutins de petits maîtres ; ils n’y firent rien. Benserade la rencontra une fois chez madame la Princesse, la mère ; il pensa la traiter en Bohémienne, et lui toucha à un genou. Elle lui donna un grand coup de poing, dans l’estomac, et tira en même temps une demi-épée qu’elle avoit toujours à la ceinture. « Si vous n’étiez céans, lui dit-elle, je vous poignarderois. — Je suis donc bien aise, lui dit-il, que nous y soyons. » Madame la Princesse, la jeune, fit ce qu’elle put pour la retenir, et lui faisoit d’assez belles offres. Il n’y eut pas moyen. Elle dit pour ses raisons : « Sans ma danse, mon père, ma mère et mes frères mourroient de faim. Pour moi, je quitterois volontiers cette vie-la. » La Reine s’avisa de la faire mettre en une religion. Elle pensa faire enrager tout le monde, car elle se mettoit à danser dès qu’on parloit d’oraison. La Roque, capitaine des gardes de M. le Prince, devint furieusement amoureux d’elle ; il la fit peindre par Beaubrun. Gombauld fit ce quatrain pendant qu’on travailloit à son portrait :

Une beauté non commune

Veut un peintre non commun,