Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/379

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avoit toujours la foire ; en effet, son teint un peu jaune et pâle étoit le teint d’un foireux. Il avoit beaucoup d’esprit et beaucoup de vivacité ; mais il disoit quelquefois des pointes ; et, quand il lui sembloit qu’il avoit dit quelque chose de plaisant, il en rioit tout le premier, et, si quelqu’un ne l’avoit pas entendu, il lui disoit : « ’Vous ne savez pas, je disois telle chose. » Pour moi, j’étois gai, remuant, sautant, et faisant une fois plus de bruit qu’un autre ; car quoique mon tempérament penchât vers la mélancolie, c’étoit une mélancolie douce, et qui ne m’empêchoit jamais d’être gai quand il le falloit ; avec cela, la veuve me trouvoit beaucoup de brillant dans l’esprit : je ne sais pas si les autres étoient de son avis. J’étois de toutes les promenades, de tous les divertissements, et la belle ne pouvoit rien faire sans moi ; aussi n’étois-je guère sans elle : j’étudiois tout le matin, et l’après-dînée, je la lui donnois tout entière. Je n’ai jamais mieux passé mon temps, car j’étois bien aimé et bien amoureux : on avoit toute liberté de se parler et de se baiser, car les deux sœurs ne mangeoient point ensemble, et étoient moins unies que jamais. D’Agamy et sa femme voyoient bien que la veuve en tenoit, et cela commençoit à leur déplaire, aussi bien qu’à l’abbé. Dans nos caresses nous avions quelquefois les plus violents transports du monde : nous étions bien épris tous deux. Elle avoit de l’esprit, et faisoit parfois des vers dans sa passion. Un jour, je la trouvai pâle au Cours ; je lui envoyai le lendemain des vers que j’ai perdus, où je parlois de la frayeur que cette pâleur me donnoit. Elle me répondit par ce quatrain :

Si tu n’as point trouvé les roses

Qui sur mon teint étoient écloses,

Daphnis, ne t’en étonne pas,

C’est qu’elles descendoient plus bas.


Moi qui aime à conclure, je voulus voir si je pourrois mettre l’aventure à fin.Je me hasarde : on me rebute, on me gronde, on me menace ; mais en sortant on me dit : « Je vous aurois bien plus maltraité, si je ne craignois de vous perdre encore une fois. » Cela me rassure fort ; je recommence : on me repousse,