Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/380

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on me déclare que pour tout le reste on me le permettoit, mais que, pour cela, je n’avois que faire d’y prétendre. Désespérant d’en venir à bout, j’entendis bien plus volontiers que je n’eusse fait à un voyage d’Italie que deux de mes frères me proposèrent ; et puis je n’avois que dix-huit ans, j’étois en âge d’aimer à courir.

Ce voyage ne fut pas plus tôt conclu que la veuve se met en courroux, et elle le témoignoit si visiblement que tout le monde s’en apercevoit. En jouant aux quilles, elle ne vouloit plus prendre la boule de ma main, et faisoit mille autres choses d’une grande prudence. Je l’apaisai pourtant en une visite de quatre heures, où je lui représentai qu’elle me désespéroit ; et je l’attendris si bien que moitié figue, moitié raisin, j’en eus ce que je demandois il y avoit si long-temps. Je voulus rompre mon voyage, ou du moins je m’en remis entièrement à elle. C’étoit une chose si arrêtée qu’elle eut assez de sens pour me dire qu’il falloit le faire, et que cela feroit trop parler les gens. Regardez quelle bizarrerie, d’attendre à la veille de mon départ. Elle me laissa encore, en une autre visite, faire tout ce que je voulus ; elle me donna son portrait, elle voulut avoir le mien. Elle me chargea de bagues et de bracelets ; mais ni elle ni moi ne songeâmes à aucune adresse pour nous écrire. Après je fus dire adieu à mon rival, qui eut la plus grande joie du monde de me voir partir.

À Lyon, comme si je ne pouvois voyager sans devenir amoureux, je m’épris terriblement de la fille d’un de nos amis chez lequel nous logions. C’étoit une fille bien faite, bien brusque, qui avoit de la voix et de l’esprit. Pour cette fois-là, je n’ai pas tant de tort qu’à l’autre, car, je ne sais par quelle fatalité, cette fille eut d’abord de la bonne volonté pour moi, quoique je ne fusse pas le plus beau des trois ; elle fit, dès le premier jour, une alliance avec moi, et m’appela ma sympathie. On nous mena promener aux jardins de l’Athénée, qu’on appelle aujourd’hui Ainay ; nous nous détournâmes un peu, elle et moi ; j’étois le plus aise du monde et il me sembloit que j’étois pour le moins Périandre ou Mérindor Il fallut partir au bout de trois jours ; mais, pour me consoler, j’emportai des bracelets de cheveux, et j’eus permission