Page:Tallemant des Réaux - Historiettes, Mercure de France, 1906.djvu/382

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déjà pour une capricieuse dans mon esprit, avoit besoin de cela pour me retenir ; car, n’ayant plus personne, je fis bien plus de choses que je n’en eusse fait pour me remettre bien avec elle.

Un peu plus habile que je n’étois, je m’avisai de cajoler une fille qui en avoit bonne envie : elle étoit parente-suivante d’une madame de Mérouville, avec laquelle Louvigny demeuroit.

Tout ce monde-là, aussi bien que mon père, ne logeoit pas loin du logis de la veuve, où, à cause du grand jardin qui y étoit, on se divertissoit plus qu’en aucune autre maison. Je badinois avec cette fille à ses yeux : cela la fit revenir, et je remontai sur ma bête. Cette fille, qui s’appelle…, m’appeloit mon mari, et m’aimoit de tout son cœur.

J’ai parlé ailleurs de la maison de La Honville, où nous allions souvent, quoique la veuve ne fût pas de ces parties-là. Tout le monde de chez M. de Honville m’aimoit fort ; j’étois le bel esprit de la troupe, et on m’estimoit terriblement. Une fois, une madame du Candal, veuve d’un conseiller au Parlement, grande femme fort bien faite et fort raisonnable, mais un peu coiffée de la parenté, vint avec nous à la Honville. Elle étoit fille d’une sœur de La Honville, qui logeoit avec son frère. De tout temps, cette femme m’avoit plu ; aussi a-t-elle un agrément que j’ai vu à peu de personnes. Mon humeur, mon emportement, ma gaieté ne lui déplurent pas non plus. En badinant, nous faisons une alliance ; nous voilà aussi mari et femme. Depuis cela, je la visitai plus soigneusement ; mais il n’y avoit aucune liberté chez son beau-père, où elle logeoit. La première femme (1) voyant que je me trouvois presque toujours chez La Honville quand l’autre y venoit dîner, entra en quelque jalousie et me fit la mine.

[(1) La parente de madame de Mérouville qui appeloit Tallemant son mari. ]

Le lendemain, je la vais trouver dans sa chambre, et, après l’avoir bien haranguée, pour l’obliger de me dire ce qu’elle avoit contre moi, elle me prend la main et me baise. « Allez ? dit-elle, vous ne le saurez jamais, mais je ne vous en aimerai pas moins. » Voyant cela, je voulus tenter si je ne trouverois point l’heure du berger. « Non,