Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/182

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eut dîné, il s’endormit dans une chaise, et comme l’archevêque le pensa réveiller pour le mener au sermon : « Hé ! je vous prie, dit-il, dispensez-m’en ; je dormirai bien sans cela. »

Un jour, entrant dans l’hôtel de Sens, il trouva dans la salle deux hommes qui, disputant d’un coup de trictrac, se donnoient tous deux au diable qu’ils avoient gagné. Au lieu de les saluer, il ne fit que dire : « Viens, Diable, viens vite, tu ne saurois faillir, il y en a l’un ou l’autre à toi. »

Quand les pauvres lui disoient qu’ils prieroient Dieu pour lui, il leur répondoit « qu’il ne croyoit pas qu’ils eussent grand crédit auprès de Dieu, vu le pitoyable état où il les laissoit, et qu’il eût mieux aimé que M. de Luynes ou M. le surintendant lui eût fait cette promesse. »

Un jour qu’il faisoit un grand froid, il ne se contenta pas de bien se garnir de chemisettes, il étendit encore sur sa fenêtre trois ou quatre aunes de frise verte, en disant : « Je pense qu’il est avis à ce froid que je n’ai plus de quoi faire des chemisettes. Je lui montrerai bien que si. »

En ce même hiver, il avoit une telle quantité de bas, presque tous noirs, que pour n’en mettre pas plus à une jambe qu’à l’autre, à mesure qu’il mettoit un bas il mettoit un jeton dans une écuelle. Racan lui conseilla de mettre une lettre de soie de couleur à chacun de ses bas, et de les chausser par ordre alphabétique. Il le fit, et le lendemain il dit à Racan : « J’en ai dans l’L, » pour dire qu’il avoit autant de paires de bas qu’il y avoit de lettres jusqu’à celle-là. Un jour chez madame des Loges il montra quatorze tant che-