Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/300

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Quand M. de Pisieux mourut, elle joua plaisamment la comédie. Il n’y avoit pas long-temps qu’il lui avoit donné un soufflet. Cependant elle fit l’Artemise, et d’une telle force, que tout le monde y alloit comme à la farce. Le marquis de Sablé mourut peu de temps après. On crut que sa femme, qui l’aimoit encore moins que celle-ci n’avoit aimé le sien, en feroit de même ; mais on fut bien attrapé, car elle ne dit pas un mot de son mari.

Madame de Pisieux n’est pas bête. Jamais il n’y a eu une si grande friande. Depuis Pâques jusqu’à la Pentecôte elle mangea, il n’y a que cinq ou six ans, pour dix-sept cents livres de ce veau de Normandie que l’on nourrit d’œufs[1] ; car, outre le lait de la mère, on leur donne dix-huit œufs par jour. Elle avoit été contrainte de vendre Berny à feu M. le premier président de Bellièvre ; mais il lui reste encore une belle maison en Touraine, qu’on appelle le Grand Pressigny. Il y a des meubles pour toutes les quatre saisons[2]. M. de Chavigny y passa. Le marquis de Sillery pria sa mère de le recevoir de son mieux. Elle lui fit une chère admirable ; elle lui changea même de meubles à son appartement. « Je voulois, lui dit-elle, vous montrer qu’il m’en est encore demeuré un peu. »

Son fils, le marquis de Sillery, dit qu’elle a un mari de conscience. C’est un certain grand nez. « Elle a voulu, dit le marquis, tâter d’un grand nez après un camus. » M. de Pisieux avoit le nez court, mais je pense que la bonne dame en avoit tâté de toutes les

  1. On appelle le lieu où l’on le nourrit Rivière. (T.)
  2. Depuis Cazindre a acheté cette terre, et elle a vécu de six mille livres que le Roi (1647) lui donna. (T.)