Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/359

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la dame d’atour, qui faisoit la sourde oreille, fut contrainte de venir au secours. Quelques jours après, la Reine régnante étant demeurée à Amiens, soit qu’elle se trouvât mal, soit qu’elle ne fût pas nécessaire pour accompagner la reine d’Angleterre à la mer, car cela n’eût fait que de l’embarras, Buckingham, qui avoit pris congé de la Reine, comme les autres, retourna quand il eut fait trois lieues ; et comme la Reine ne songeoit à rien, elle le voit à genoux au chevet de son lit. Il y fut quelque temps, baise le bout des draps, et s’en va.

Le cardinal prit soupçon de toutes les galanteries de Buckingham, et empêcha qu’il ne revînt en France ambassadeur extraordinaire, comme c’étoit son dessein ; ne pouvant faire mieux, il y vint avec une armée navale attaquer l’île de Ré[1]. À son arrivée, il prit un gentilhomme de Saintonge, nommé Saint-Surin, homme adroit et intelligent, et qui savoit fort bien la cour. Il lui fit mille civilités ; et lui ayant découvert son amour, il le mena dans la plus belle chambre de son vaisseau. Cette chambre étoit fort dorée ; le plancher étoit couvert de tapis de Perse, et il y avoit comme une espèce d’autel où étoit le portrait de la Reine avec plusieurs flambeaux allumés. Après, il

  1. On a su du cardinal Spada, alors nonce en France (il l’a dit à M. de Fontenay-Mareuil, quand celui-ci étoit ambassadeur à Rome), que la France et l’Espagne étoient sur le point de se liguer pour attaquer l’Angleterre. C’étoit le cardinal de Bérulle, alors général de l’Oratoire et non encore cardinal, qui pressoit cette alliance. Le comte d’Olivarès avertit le duc de Buckingham du dessein, et cela le fit venir dans l’île une campagne plus tôt qu’il n’avoit résolu. L’Espagne vouloit que les Huguenots brouillassent toujours la France. (T.)