Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/371

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faut lever une autre, monseigneur. — Et avec quoi ? — Avec quoi ? je vous donnerai de quoi lever cinquante mille hommes et un million d’or en croupe » (ce sont ses termes). Le cardinal l’embrassa. Bullion avoit toujours six millions chez le trésorier de l’Épargne Fieubet, car c’étoit celui-là à qui il se fioit le plus. De là vient la prodigieuse fortune de Lambert[1], le commis du comptant de Fieubet, car il faisoit profiter cet argent ; et tel à qui il prêtoit cinquante mille livres, quand il le pressoit de payer, comme il faisoit exprès, lui jetoit un sac de mille livres pour avoir répit. Le cardinal pourtant n’étoit guère bien informé des choses, puisqu’il ne savoit pas ce qu’on faisoit de l’argent, ni s’il y en avoit de réservé ; mais c’est qu’il vouloit voler, et laissoit voler les autres.

En ce temps-là, il alla par Paris sans gardes ; mais il avoit du fer à l’épreuve dans les mantelets et dans les cuirs du devant et du derrière de son carrosse, et toujours quelqu’un en la place des laquais. Il menoit toujours le maréchal de La Force avec lui, parce que le peuple l’aimoit. Le Roi alla à Chantilly, et envoya le maréchal de Châtillon pour faire rompre les ponts de l’Oise. Montatère, gentilhomme d’auprès de Liancourt, rencontre le maréchal, et lui dit : « Que ferons-nous donc, nous autres de delà la rivière ? Il semble que vous nous abandonniez au pillage. — Envoyez, dit le maréchal, demander des gardes à M. Picolomini ; je vous donnerai des lettres, il est de mes

  1. Lambert le riche. Ce Lambert est mort, et se tua tellement à amasser du bien qu’il n’en a point joui. Il laissa cent mille livres de rente à son frère. Ce sont les fils d’un procureur des comptes. (T.)