Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 1.djvu/395

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Le cardinal fit mettre un jour des épines sous la selle de son cheval. Le pauvre M. Mulot ne fut pas plus tôt dessus, que la selle pressant les épines, le cheval se sentit piqué, et se mit à regimber d’une telle force, que le bon chanoine se pensa rompre le col. Le cardinal rioit comme un fou. Mulot trouve moyen de descendre, et s’en va à lui tout bouillant de colère : « Vous êtes un méchant homme. — Taisez-vous, taisez-vous, lui dit l’Éminence ; je vous ferai pendre, vous révélez ma confession. » Ce M. Mulot avoit un nez qui faisoit voir qu’il ne haïssoit pas le vin. En effet, il l’aimoit tant, qu’il ne pouvoit s’empêcher de faire une aigre réprimande à tous ceux qui n’en avoient pas de bon ; et quelquefois, quand il avoit dîné chez quelqu’un qui ne lui avoit pas fait boire de bon vin, il faisoit venir les valets, et leur disoit : « Or çà, n’êtes-vous pas bien malheureux de n’avertir pas votre maître, qui peut-être ne s’y connoît pas, qu’il se fait tort de n’avoir pas de bon vin à donner à ses amis ? » Il avoit beaucoup d’amitié pour madame de Rambouillet ; et ayant découvert que M. de Lizieux, quoiqu’il eût du bien de reste, jouissoit toujours d’une petite terre qui lui avoit été donnée autrefois par le beau-père de cette dame pour en jouir sa vie durant, il ne le pouvoit souffrir, et à tout bout de champ il le lui vouloit aller dire ; et toutes les fois qu’il voyoit madame de Rambouillet, la première chose qu’il lui disoit, c’étoit : « Madame, M. de Lizieux a-t-il rendu cette terre ? » Enfin il falloit que madame de Rambouillet se mît à genoux devant lui pour obtenir qu’il n’en parleroit jamais. M. de Lizieux avoit oublié d’où lui venoit cette terre, ou, pour mieux dire, il avoit oublié qu’il