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d’écus d’or, que cette femme, je ne sais par quelle fantaisie, avoit mis dans une seringue. Madame de Rambouillet disoit : « Voilà du bien qui vient à la comtesse de Maure dans la forme la plus agréable qu’il lui pouvoit venir. »

La comtesse de Maure et madame Cornuel allèrent faire un voyage ensemble. Elles couchèrent chez un gentilhomme qui avoit la fièvre. La nuit que tout le monde dormoit bien paisiblement, la comtesse vint heurter à la chambre de madame Cornuel. « Qu’y a-t-il ? — Hé ! levez-vous vite. — Qu’est-ce ? — Allons-nous-en tout-à-l’heure. — Hé ! pourquoi ? — C’est que je viens d’apprendre que la maîtresse de céans s’est couchée avec son mari qui a la fièvre ; elle la gagnera, et nous la donnera après. Je ne saurois souffrir ces sottes femmes-là ; allons-nous-en. » Il fallut pourtant attendre au lendemain. Madame Cornuel dit qu’elles furent quinze jours entiers ensemble en litière, et qu’elle étoit si lasse d’avoir toujours une même personne devant les yeux, qu’elle eut deux ou trois fois envie de l’étrangler[1]. L’exagération est un peu forte.

Je pense que le désordre de ses affaires, autant que le bien public, engagea le comte de Maure dans le parti de Paris. Durant le blocus, il fut le seul, tant il sait

  1. Madame de Sévigné a dit quelque chose sur les litières qui peut lui avoir été suggéré par le mot de madame Cornuel : « Vous êtes heureuse d’avoir votre cher mari en sûreté, qui n’a d’autre fatigue que de voir toujours votre chien de visage dans une litière vis-à-vis de lui : le pauvre homme !.... Hélas ! il me souvient qu’une fois, en revenant de Bretagne, vous étiez vis-à-vis de moi ; quel plaisir ne sentois-je point de voir toujours cet aimable visage ! Il est vrai que c’étoit dans un carrosse ; il faut donc qu’il y ait quelque malédiction sur la litière. » (Lettre de madame de Sévigné à sa fille, du 20 mai 1672.)