Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/366

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notre poète par l’endroit où il y avoit plus belle prise, je veux dire par la barbe, et lui pluma tout le menton. Neufgermain, pour venger ce sacrilége, met l’épée à la main, blesse le filou, et l’eût tué, s’il ne se fût sauvé : le peuple qui fut spectateur de ce fameux combat, charmé de la bravoure d’un homme à grande barbe, ne pouvoit assez l’admirer ; et quand il fut parti, un vénérable savetier s’avisa de ramasser cette vénérable barbe, et la mit dans une belle feuille de papier blanc qu’il tenoit par les deux bouts ; car il portoit trop de respect à cette belle relique, pour la plier dans ce papier ; elle y étoit tout de son long. En cet équipage il s’achemine à l’hôtel de Rambouillet, car Neufgermain s’étoit vanté d’y avoir bien des amis. On dînoit quand cet homme y arriva, et un laquais vint dire à M. de Rambouillet qu’un savetier de la rue des Gravilliers demandoit à parler à lui. « Un savetier de la rue des Gravilliers ? répond le marquis tout étonné ; il faut voir ce que c’est, faites-le monter. » Le savetier entre, son papier à la main, et en faisant un nombre infini de salamalecs, s’approcha de la table et dit qu’il apportoit la barbe de M. Neufgermain. Neufgermain entre dans la salle à cet instant, et fut bien surpris de voir que sa barbe avoit fait plus grande diligence que lui.

Il y a deux ou trois ans que madame de Rambouillet lui ayant fait donner deux cents livres, par le moyen de M. Ménage, qui est bien avec M. Servien, surintendant des finances, elle s’avisa de faire une petite malice à Ménage. « Vous êtes obligé, dit-elle au poète barbu, d’aller remercier M. Ménage, mais je vous donne un avis ; c’est l’homme du monde après vous