Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/60

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faute et envoya Rumigny prendre les devants auprès du cardinal. Rumigny lui fit entendre que la place étoit bien munie, que M. le grand-maître pouvoit ravager le pays ennemi, et attaquer une autre place dès qu’on l’auroit fortifié des troupes revenues de Sedan. Le cardinal le remit au lendemain, et lui fit quelques propositions qu’il n’avoit garde de ne pas approuver. « Voilà pour vous montrer, disoit-il, monsieur de Rumigny, que le cardinal de Richelieu, quoiqu’il n’aille pas à la guerre, ne laisse pas d’être grand capitaine. »

Sa femme (mademoiselle de Brissac) est jolie et chante bien. Le cardinal de Richelieu s’en éprit ; il avoit toujours affaire à l’Arsenal : c’étoit sa bonne cousine. Voilà le grand-maître dans une mélancolie épouvantable. Il avoit un peu de goutte ; il feint d’en avoir bien davantage. Il ne savoit où il en étoit. Le cardinal étoit dangereux ; il n’y avoit point de quartier avec lui. La maréchale pouvoit, si elle eût voulu, faire enrager son mari impunément. Elle qui ne manque pas d’esprit, s’aperçut de cela ; et un beau jour, par une résolution assez rare en l’âge où elle étoit alors, elle va trouver le grand-maître, et lui dit que l’air de Paris ne lui étoit pas bon, et qu’elle seroit bien aise s’il l’approuvoit d’aller chez sa mère en Bretagne. « Ah ! madame, lui dit le grand-maître, vous me donnez la vie ; je n’oublierai jamais la grâce que vous me faites. » Le cardinal, par bonheur, n’y songea plus ; mais sans doute il s’alloit enflammer d’une étrange sorte. Tournons la médaille.

En même temps madame de La Meilleraye se va mettre dans la tête que MM. de Cossé viennent de