Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 2.djvu/97

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amourette, mais la jalousie s’y mit bientôt, car L’Épinay, gentilhomme de Normandie, qui étoit alors comme le favori de Monsieur[1], fut disgracié, et Louison aussi. Ce L’Épinay, à ce qu’on dit, avoit servi si fidèlement son maître auprès de cette fille, qu’on a cru qu’il y avoit passé le premier. Il vécut avec si peu de discrétion, que le bruit en vint aux oreilles du Roi. Il ne manqua pas d’en railler Monsieur, qui jusque là ne s’étoit douté de rien, quoiqu’il soit honnêtement soupçonneux. La première fois qu’il vit la belle, il lui fit tout confesser, et L’Épinay, sachant cela, fut si imprudent, qu’au lieu de lui écrire qu’il s’étonnoit qu’elle dît le contraire de ce qu’elle savoit, lui écrivit par le comte de Brion une lettre par laquelle il la prioit de lui envoyer de ses cheveux. Louison ne la voulut pas recevoir, et en avertit Monsieur. Il fit fouiller Brion, et ne lui trouva point la lettre ; mais quand on fut chercher à son logis, elle fut trouvée dans la paillasse de son lit. La Rivière disoit que M. d’Orléans avoit trouvé dans les chausses de M. de Brion une lettre de Louison à L’Épinay. Il délibéra de le faire poignarder, et en parla au feu Roi, qui en fut d’avis, car, outre qu’il étoit naturellement un peu cruel, il croyoit que cet exemple retiendroit ceux qui s’émancipoient d’en conter à mademoiselle d’Hautefort. Mais le cardinal de Richelieu, qui fut de ce conseil, empêcha la chose. Le cardinal n’aimoit pas que la cour s’accoutumât à faire assassiner les gens. Monsieur fit pourtant mettre des gardes autour du logis de Louison, la nuit, avec ordre de tuer L’Épinay s’il y venoit.

  1. Lui qui s’est toujours laissé gouverner, se plaignit que le cardinal de Richelieu gouvernât le Roi son frère. (T.)