Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allemand que j’ai qui en a soin. » Le Roi le voulut avoir : c’étoit Beringhen, et il lui donna après le soin du cabinet des armes. Depuis il fit quelque chose, et parvint à être premier valet-de-chambre. Or, il avoit un cousin-germain, dont le fils, que je connois fort, conte ainsi leur histoire. « Nous sommes, dit-il, d’une petite ville de Frise, qui s’appelle Beringhen ; nos ancêtres, dont la noblesse se prouve par les titres que nous rapporterons quand on voudra, n’en étoient pas seigneurs à la vérité, mais possédoient la plus belle maison de la ville depuis plus de trois cents ans. »

Pour moi, je sais bien que bien souvent on a pris le nom du lieu de sa naissance ; mais ce n’est pas autrement une marque de noblesse, au contraire, comme Jean de Meung et Guillaume de Lorris[1]. « Le père de feu M. de Beringhen et le père du mien furent tués à la guerre : leur bien se perdit. Leurs enfants ayant ramassé quelque chose du naufrage, passèrent en France encore fort jeunes. Feu M. de Beringhen s’arrêta sur la côte de Normandie, où il fut précepteur de quelques enfants de gentilshommes ; il avoit un peu de lettres. Au sortir de là, il se met chez l’accommodeur de fraises du Roi, et fait connoissance avec les officiers de la garde-robe : il avoit l’esprit vif, le Roi le prit en amitié. Pour mon père, il alla jusqu’en Bretagne, et se mit à trafiquer d’une espèce de toile qu’on appelle de la noyale ; elle sert à faire des voiles de navire, mais il n’a jamais paru en ce

  1. Les deux auteurs du Roman de la Rose. Tallemant auroit dû les nommer dans l’ordre inverse, puisque Jean de Meung a été le continuateur de Guillaume de Lorris.