Page:Tallemant des Réaux - Les historiettes, tome 3.djvu/96

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tâcher à lui plaire ; mais elle lui déchiroit son collet, et le menaçoit de lui arracher les yeux s’il en venoit à la violence.

Depuis, Tardieu, lieutenant-criminel, l’épousa, car on la lui avoit promise s’il la tiroit des mains de d’Oradour, et il y servit ; mais cette réputation qu’elle s’étoit acquise par une si courageuse résistance, ne dura pas long-temps, car elle devint bientôt la plus ridicule personne du monde, et elle a bien fait voir que ç’a été plutôt par acariâtreté qu’autrement qu’elle résista à d’Oradour.

Son père étoit un homme libéral auprès d’elle ; elle a bien de qui tenir, car sa mère n’est guère moins avare qu’elle, et le lieutenant-criminel est un digne mari d’une telle femme. Elle étoit bien faite ; elle jouoit bien du luth ; elle en joue encore ; mais il n’y a rien plus ridicule que de la voir avec une robe de velours pelé, faite comme on les portoit il y a vingt ans, un collet de même âge, des rubans couleur de feu repassés, et de vieilles mouches toutes effilochées, jouer du luth, et, qui pis est, aller chez la Reine. Elle n’a point d’enfants ; cependant sa mère, son mari et elle n’ont pour tous valets qu’un cocher : le carrosse est si méchant et les chevaux aussi, qu’ils ne peuvent aller ; la mère leur donne l’avoine elle-même ; ils ne mangent pas leur soûl.

Elles vont elles-mêmes à la porte. Une fois que quelqu’un leur étoit allé faire visite, elles le prièrent de leur prêter son laquais pour mener les chevaux à la rivière, car le cocher avoit pris congé. Pour récompense, elles ont été un temps à ne vivre toutes deux que du lait d’une chèvre. Le mari dit qu’il est fâché de cette mes-