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quinerie. Dieu le sait ! Pour lui il dîne toujours au cabaret aux dépens de ceux qui ont affaire de lui, et le soir il ne prend que deux œufs. Il n’y a guère de gens à Paris plus riches qu’eux. Il a mérité d’être pendu deux ou trois mille fois. Il n’y a pas un plus grand voleur au monde.

Le lieutenant-criminel logeoit de petites demoiselles auprès de chez lui, afin d’y aller manger ; il leur faisoit ainsi payer la protection.

Sa femme le suivoit partout : elle coucha avec lui à Maubuisson ; le matin, comme ils partoient, les moutons alloient aux champs : « Ah ! les beaux agneaux ! dit-elle. » Il lui en fallut mettre un dans le carrosse.

Elle demanda une fois à souper au valet-de-chambre d’un marquis qui avoit une affaire contre un filou qu’il vouloit faire pendre : il lui refusa ; elle alla avec son mari souper chez leur serrurier.

Le lieutenant dit à un rôtisseur qui avoit un procès contre un autre rôtisseur : « Apporte-moi deux couples de poulets, cela rendra ton affaire bonne. » Ce fat l’oublia ; il dit à l’autre la même chose ; ce dernier les lui envoya avec un dindonneau. Le premier envoie ses poulets après coup ; il perdit, et pour raison ; le bon juge lui dit : « La cause de votre partie étoit meilleure de la valeur d’un dindon. »

M. l’évêque de Rennes, frère aîné du maréchal de La Mothe, alla en 1659 pour parler au lieutenant-criminel ; sa femme vint ouvrir, qui lui dit que le lieutenant-criminel n’y étoit pas, mais que s’il vouloit faire plaisir à madame, il la meneroit jusqu’à l’hôtel de Bourgogne, où elle vouloit aller voir l’Œdipe de Corneille. Il n’osa refuser, et, la prenant pour une servante, il lui