Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/13

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général. Pourquoi, non seulement nos luttes, mais toutes les luttes de tous ordres ? Pourquoi partout ces conflits d’égoïsmes exaspérés ? Comment se fait-il qu’un monde, où se marquent d’ailleurs des traits indéniables de sagesse et d’harmonie, comporte cet état d’anarchie organisée ? Est-ce que, vraiment, ce serait là une nécessité rationnelle et inévitable, une condition salutaire et sine quâ non de tout progrès naturel ou humain, comme l’affirment tant d’apologistes de la concurrence vitale, de la concurrence économique, du militarisme conquérant ? Jusqu’ici, envisageant l’Univers au point de vue surtout de la Répétition de ses phénomènes, je n’avais point à me poser ces anxieuses interrogations, je pouvais oublier le fond tragique et antinomique des réalités. Qu’une harmonie, une fois créée, équilibre gravitatoire ou ondulatoire, planétaire ou moléculaire, type vivant, invention sociale, cherche à se répéter indéfiniment, à se multiplier et se propager par le rayonnement de sa propre image, rien de moins surprenant ; rien de plus caractéristique des œuvres de l’amour que cette exubérante fécondité. Mais, à présent, comme complément et envers de ce spectacle, s’offrait à moi le tableau de ces contre-similitudes, de ces répétitions renversées, que toutes les catégories de faits présentent, longue avenue de sphinx, dont j’étais conduit à scruter l’énigme ; et l’Univers, regardé au point de vue de l’Opposition de ses êtres et de ses forces, m’apparaissait sous un jour manichéen, sinon satanique et infernal. Était-ce donc là son aspect véritable et fondamental, sa façade principale, et le peu de bonté, d’amour, de solidarité fraternelle, qui se montre çà et là, ne serait-il né que de cette longue bataille même, de cette mêlée de haines, de rivalités, d’avidités ?