Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/222

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Aussi est-il à remarquer que chez les mystiques abondent les images empruntées à ce sens, et peut-être même chez eux est-il particulièrement impressionnable. Pour sainte Thérèse, l’enfer « est un lieu qui pue et où l’on n’aime point ». Sentir mauvais et n’aimer point semblent être mis presque sur le même rang. C’est toujours à sa puanteur que le diable est reconnu chez les possédés du Moyen Âge, tandis que l’on dit toujours d’une sainte qu’elle est morte « en odeur de sainteté », que son cadavre découvert exhalait un parfum de fleurs, etc.[1]

Je ne m’attache à ces considérations, dont je ne veux pas exagérer la portée, que parce qu’elles ont été négligées. Je pourrais développer des considérations analogues - mais je les épargne aux lecteurs - pour montrer l’origine gustative des idées du bon et du mauvais. je sais bien que, même si l’homme eût été réduit à ses sens intellectuels, il serait devenu un animal moral et religieux ; sa cristallisation religieuse et morale se serait opérée quand même autour des notions du beau et du laid, de l’utile et du nuisible, du vrai et du faux, qui lui auraient prêté un appui intellectuellement plus fort. Mais je doute que, pratiquement, cela eût mieux valu pour l’avenir humain. La moralité, devenue chose purement esthétique, aurait-elle eu, dans ces temps grossiers, la force de dompter les penchants féroces et cyniques ? C’est peu vraisemblable. Mais, fondée

  1. C’est à se demander si ce n’est pas au développement de son odorat que le plus olfactif des animaux, le chien, doit d’éprouver parfois — pour son maître — quelque chose qui ressemble de loin à notre sentiment religieux. Il est certain que l’odeur de son millre lui est exquise, et qu’il le flaire avec délices, avec adoration.