Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/229

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dans l’ordre de l’idéalité ; et ainsi de suite à l’infini. Voilà pourquoi il y a tant de désirs désintéressés, inhérents à des idées dont la réalisation est souhaitée passionnément non parce qu’elle est réputée une source certaine de plaisirs des sens, mais de joies esthétiques, sympathiques, intellectuelles. Parmi ces dernières, citons la recherche ardente, chez les mathématiciens, de l’élégance des formules algébriques, et, chez les politiciens, de la symétrie des constitutions politiques. La grande erreur ici est de supposer que la sensation seule peut être désirée ou repoussée comme agréable ou comme pénible par elle-même. Si abstraite que soit une conception, elle peut, moyennant le fonctionnement de la dialectique interne, en arriver à nous émouvoir d’un attrait ou d’une répulsion irrésistibles, tout comme le plus voluptueux ou le plus douloureux des contacts.

Il y a donc, dans le tissu de notre vie morale, une longue alternance de volitions et de désirs, tour à tour générateurs et engendrés, qui vont de notre premier désir à notre passion ou à notre vertu finale, de notre première volition semi-instinctive à notre dernier effort d’intérêt ou du devoir. — Le devoir, en effet, est à la vertu qu’il fait naître par sa répétition devenue facile et douce, ce que la volonté est au désir que son habitude produit ; et la genèse du devoir, je l’ai dit ailleurs, se rattache, comme celle du vouloir, au syllogisme de finalité[1]. Ou plutôt le devoir est un vouloir qui a perdu conscience de sa majeure, du Désir qui le meut, parce que ce

  1. Je me permets de renvoyer à cet égard à ma Philosophie pénale (chap. sur la responsabilité) et à mes Transformations du Droit (chap. sur les obligations).