Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/233

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temps ma tendresse pour mes enfants, qui sommeillait au fond de mon cœur, — ma tendresse, c’est-à-dire mon désir de les savoir heureux, de les voir grandir, ma répulsion à l’égard de tout ce qui peut leur nuire - se réveille à l’état aigu. — Et, quand j’ai vu, quand j’ai écoute une femme charmante, que s’est-il passé en moi ? Des désirs qui dormaient sont sortis de leur sommeil, et, en même temps, une perspective, une possibilité de bonheur plein, auquel j’avais renoncé, s’est ouverte à moi, substituant à ma résignation tranquille, qui était une sécurité aussi, l’inquiétude du ballottement entre l’espérance et la crainte. — Passons en revue toutes les émotions, peur et colère, haine et amour, indignation et admiration morale, elles nous montreront toutes ces deux traits communs, d’être le réveil plus ou moins brusque d’un désir et l’ébranlement d’une croyance, le démenti d’une attente, un problème posé.

Une émotion - et on peut en dire autant d’une passion, car une passion, avant de devenir une habitude, est une inquiétude - est toujours une question. Peur ou colère, haine ou amour, admiration ou mépris, tristesse ou joie, sont des désirs qui cherchent leur voie d’exécution et qui ne l’ont pas encore trouvée. La joie même est un état de surprise inquiétante qui aspire à s’établir, à se consolider en bonheur et ne sait comment. Aussi, dès que la voie cherchée est trouvée, l’émotion baisse. La fuite diminue la peur, la vengeance diminue ou amortit la colère et la haine ; la possession affaiblit l’amour en tant qu’émotion, si elle le fortifie parfois en tant qu’habitude. On admire moins, et on méprise moins ce