Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/247

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est facile à opérer dans le sein du cercle social primitif, de la famille ou du clan. Ils s’accordent tous en leur résultante, un orgueil collectif dont l’âpreté est indicible, et par lequel s’affirme la supériorité de leur groupe sur les groupes voisins. Ainsi, la contradiction n’a été supprimée entre les orgueils de personnes qu’à la condition de réapparaître agrandie dans les relations mutuelles des orgueils de masses. Les premiers, en se réunissant, se sont multipliés les uns par les autres pour enfanter un gigantesque agrandissement d’eux-mêmes. — Mais existe-t-il aussi, quelque part, une humilité collective née de la réunion d’humilités individuelles ? Nullement. La symétrie fait ici entièrement défaut. C’est ainsi qu’en algèbre, le produit de deux quantités négatives est une quantité positive. Mettez cent, mille pauvres gens ensemble, des anachorètes même humbles séparément et pénétrés du sentiment de leur misère et de leur impuissance ; de leur association va se dégager, par génération spontanée, une fierté collective des plus surprenantes. La plus mince des corporations de l’Ancien Régime, même celle des savetiers, était infatuée de son importance. Il en est déjà de même de nos plus petits syndicats. La révolte des Ciompi de Florence a révélé l’intensité d’orgueil latent qui couvait dans le monde même des parias de cette démocratie. Partout, donc, où vous laissez s’établir une secte, un club, une caste, prenez garde : il va se condenser là de l’orgueil collectif, de l’insociabilité collective, et il va se transformer là de la modestie en orgueil. Vous aurez, il est vrai, dans chacun de ces groupes, rendu les individus plus sociables, mais vous aurez créé des groupes parfois insociables entre eux, et dont l’insociabilité,