Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/381

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que ces conflits extérieurs, parfois sanglants, sont utiles aussi bien, et utiles de la même manière ? Et, s’ils ne le sont pas, est-il vrai pourtant qu’ils soient inévitables ? Enfin, est-ce qu’on ne s’est pas mépris en prêtant à ces duels logiques et téléologiques de toute nature, soit entre hommes, soit même dans le sein de chaque homme, une grande partie sinon la totalité de l’action salutaire qui appartient légitimement aux accouplements logiques et téléologiques[1], aux alliances et aux accumulations d’idées d’accord entre elles, d’actions concourantes et convergentes ?

Que les contradictions internes d’un homme avec lui-même soient nuisibles à lui-même et à la société, qu’elles doivent être éliminées et remplacées par l’harmonie intérieure, cela n’est point douteux. Mais on semble penser qu’il en est autrement des contradictions d’homme à homme, et que, le jour où l’on cesserait de se battre, de plaider, de discuter, il n’y aurait plus de progrès possible. Est-ce vrai ? Est-il vrai que le progrès d’une langue soit dû aux disputes des grammairiens, le progrès d’une science aux polémiques des savants, le progrès d’une religion aux querelles des théologiens, le progrès d’un droit aux procès, le progrès d’un gouvernement aux guerres civiles, le progrès d’une industrie à la concurrence, le progrès d’un art aux mutuelles injures des artistes ? Non. Une langue progresse quand un nouveau mode d’expression, conforme à son génie, y est ajouté et non substitué aux précédents, quoique la substitution puisse être heureuse si elle ajoute une nuance de plus, une force de plus, au

  1. Voir encore à ce sujet les deux ouvrages ci dessus cités.