Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/385

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Enfin, ce qui est topique, le progrès militaire lui-même résulte, non des batailles, mais d’inventions principalement industrielles, artistiques ou autres, que la guerre n’a en rien produites ni favorisées, qu’elle a au contraire fait avorter souvent, et dont elle a seulement suggéré ça et là l’application à l’armement et à la tactique. Les batailles navales ont englouti, pendant l’Antiquité et le Moyen Âge, d’innombrables escadres sans modifier le type de la trirème. Ce n’est pas elles, non plus, qui ont fait découvrir la boussole, la navigation à vapeur, l’hélice. La boussole a été inventée par les Chinois, le plus pacifique des peuples, dès le IIIe siècle de notre ère ; la navigation à vapeur, par le marquis de Jouffroy, un ingénieur, et par Fulton, un américain ; l’hélice, par un capitaine du génie français, il est vrai, mais dont l’idée serait morte avec lui si le commerce étranger ne s’en fût emparé. L’invention de la poudre, très probablement née de rêves d’alchimistes, a révolutionné l’art de la guerre comme l’invention de la vapeur l’industrie. Et toutes les inventions pastorales, agricoles, industrielles, ont indirectement, mais non moins profondément, métamorphosé le démon de la guerre en lui proposant de nouveaux mobiles, de nouveaux buts d’expédition : razzias de troupeaux, pillages de greniers, vols de trésors, traités de commerce spoliateurs, etc. Les peuples auraient pu s’entre-tuer pendant des siècles sans faire avancer d’un seul pas cet art homicide si, malgré leurs tueries, dans les éclaircies de leurs massacres, n’étaient écloses les idées fécondes qui ont donné au capital, nerf de la guerre, un développement énorme, et permis, grâce aux chemins de fer et au télégraphe, des rassemblements, des approvisionnements