Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/386

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de troupes si rapides, si prodigieux. Qu’on me cite une grande bataille qui ait fait faire un progrès décisif à l’art militaire. Je vois bien des batailles où la victoire a été due à ce qu’une armée possédait seule une arme nouvelle déjà inventée, à ce que son chef a le premier mis en pratique une tactique déjà connue, déjà inventée soit par d’autres soit par lui-même ; mais une bataille qui, par elle-même, aurait provoqué, tiré du néant un progrès militaire, je n’en vois pas. Les champs de bataille ont été des champs d’expériences pour l’esprit observateur et réfléchi de certains hommes de génie qui, s’exerçant sur le souvenir de ces horreurs, y ont puisé des remarques profondes, constaté des faits généraux ; mais elles n’ont été que l’occasion de ces observations dont la vraie cause est la méditation harmonieusement systématique d’un cerveau génial, et qui, d’ailleurs, n’ont contribué que pour une faible part à l’évolution militaire.

En somme, le progrès en tout genre est le fruit non de la lutte, non de la concurrence, non de la discussion même, mais de la série des bonnes idées apparues dans d’ingénieux cerveaux et appropriées à leur temps. Et dire cela, c’est dire que l’adaptation, non l’opposition, est la voie du progrès, en dépit du darwinisme social. — On est convenu néanmoins d’appeler « hommes d’action » les hommes qui, s’agitant beaucoup les uns contre les autres, aboutissent d’ordinaire à se neutraliser réciproquement, pendant que les hommes dits de pensée, par l’accumulation de leurs efforts, par l’enchaînement de leurs découvertes, mènent le monde.