Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/453

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

générale à certains préceptes moraux qui, jusqu’ici, ont toujours été d’origine ou de couleur religieuses[1].


Je voudrais croire avec Lange, avec Strauss, avec Guyau, qu’un jour viendra où le culte de l’art nous dispensera de tout autre. Mais je dois reconnaître que l’expérience historique n’est guère favorable à cette manière de voir. D’après Lange, l’autorité des religions leur vient, non de la foi, non du degré de foi en leurs dogmes, mais de la poésie de leur doctrine et de leurs rites. Il oublie que le progrès du polythéisme au christianisme a consisté à remplacer une religion très belle, très admirée et faiblement crue, par une religion infiniment plus austère et moins esthétique, objet, il est vrai, d’une énergique conviction. Si le christianisme était remplacé, ce serait, vraisemblablement, par une doctrine soutenue par une foi plus robuste encore. Lange se réfute lui-même quand il ajoute : « Si notre culture actuelle vient à s’écrouler, sa succession ne sera dévolue à aucune église existante, au matérialisme moins encore, mais, d’un coin généralement ignoré,

  1. Guyau semble croire que la religion doit être ce qu’il y a de plus élevé d&us l’enseignement supérieur, et» s’il se place au poiot de vue de La religion en train de se faire au prix de loogues luttes de doctrines, cela est certain. Maifi de la religion faite, au contraire, il est vrai de dire q, u’elie est ce qu’il y a de plus élémentaire dans l’enseignement primaire. Or c’est une vérité d’expérience, — et en même temps un corollaire des lois de l’imitation — que^ toujours et partout» l’enseignement supérieur d’aujourd’hui est destiné, en perdant ses contradictions, en se présentant sous une forme simple et indiscutée, à devenir l’enseignement primaire de demain, comme le luxe d’aujourd’hui est destiné à devenir le nécessaire de demain, en se simplifiant et abaissant ses prix. En descendant de La sorte de l’élite à la foule et des esprits adultes aux cerveaux d’enfants, une doctrine religieuse dépouille son caractère individuel de libre examen et acquiert la force d’une suggestion sociale exercée sur l’individu qui franchit le seuil de la société ; et c’est alors qu’elle est apte à produire les fruits sociaux qu’on attend d’elle.