Page:Tarde - L’Opposition universelle, Alcan, 1897.djvu/454

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sortira quelque folie monstrueuse, telle que le livre des Mormons ou le spiritisme ; les idées alors en cours se fondront avec cette folie, et ainsi s’établira un nouveau centre de la pensée universelle, peut-être pour des milliers d’années. » Il en sera ainsi, parce que, contrairement à ce que Lange a dit plus haut, la religion a pour appui l’apparente solidité des croyances plutôt que leur poésie et leur beauté. Aussi est-ce toujours autour d’un noyau de faits merveilleux, de guérisons miraculeuses, démontrées en apparence par des témoignages humains, que s’opère la cristallisation mystique. Là est le point vivant d’une religion naissante, ou le point sur-vivant d’une religion mourante[1].

Guyau nous dit que le culte des morts, le respect témoigne au passage des morts dans la rue et à leur retour périodique dans la mémoire, survivra aux religions, à la foi en l’immortalité de l’âme et en l’existence d’un Dieu. « La Fête-Dieu peut s’oublier ; la fête des morts durera autant que l’humanité même. » Cependant, s’il en est ainsi, ce ne sera, ce ne pourra

  1. Quel peuple plus poète et moins religieux que les Grecs ? » demande Guyau, pour prouver que le génie artistique est indépendant du génie religieux et que le premier peut survivre au second, remplace même le second... Mais l’exemple est^ certes, mal choisi. Et Ton pourrait dire plutôt : « Quel peuple plus poète et plus religieux que les Grecs ? » Non seulement toutes les origines de leurs arts, de leur poésie dramatique ou épique, de leur architecture, de leur sculpture, de leur musique, sont religieuses comme celles de DOS arts et de nos littératures modernes, mais encore l’apogée de leur déploiement artistique et poétique, l’époque de Périclès et de Phidias, est marquée par la plus sereine harmonie de la science naissante et de la religion épanouie, harmonie comparable à celle de notre sieèlc de Louis XIV, malgré les impiétés isolées de quelques penseurs, répudiés par un Socrate ou un Anaxagore, par un Platon et un Aristote ; et, en définitive, à quoi vient aboutir l’évolution du génie grec ? Au byzantinisme, à la cristallisation religieuse et même dévote la plus minutieuse, la plus complète, que le monde ait vue.